Cher journal,

Je n'ai jamais eu pour habitude de confier mes pensées, mes sentiments, ma vie à du papier. Sache que tu es le premier. Maman dit que ça pourrait m'aider. M'aider à faire le point lorsque j'en ai besoin, lorsque j'ai l'impression que ma vie dégringole. Qu'elle se casse la gueule dans un ravin, un truc sans fin. J'ai toujours cette horrible, et détestable sensation que ma vie tourne en rond. Réception, révérence, le sang, du sang, encore du sang. Tout semble s'agiter autour de moi, et moi je suis planté là, à attendre. Attendre que mes journées filent, défilent devant mes yeux vides. Quand on me parle, j'ai beau hocher la tête sans conviction, sourire ici et là, je suis dedans et dehors, fascinée et écœurée par l’inépuisable diversité de la vie. La tête dans les étoiles, j'attends que le temps passe, trépasse devant mes yeux las. Spectatrice de ma propre vie, enveloppée dans une sorte de cocon insonore, j'aurais beau crier, hurler à m'en arracher les poumons, pleurer jusqu'à inonder l'océan, personne ne m'entendrait, personne ne me verrait. Oui, c'est tout à fait ça. Dans ma cage dorée, j'ai beau hurler comme une folle, personne ne me voit, personne ne m'entends, j'vais y rester, j'suis perdue, j'comprends plus. Parfois je me demande ce que ça ferait, si j'étais née Dhampir. Ça me fait rire, de penser à l'expression outrée que prendrait un Moroï si je lui présentais cette possibilité. Quelle horreur, aurais-tu pris un coup sur le crâne, petite ? me dirait-il d'une voix aussi glaciale que les rafales hivernales, et plus tranchante qu'une lame aiguisée. Je ne regrette pas d'être née Moroï, parce qu'être Moroï, surtout royal, c'est jouir de nombreux avantages. Mais il y a le reste derrière. Je ne me plains pas de mon existence, parce que je suis consciente que beaucoup d'autres individus connaissent de bien plus atroces conditions de vie que les miennes, et que ma famille est loin d'être celle qu'il faut plaindre, je veux dire, nous sommes des privilégiés, la reine nous protège en quelque sorte. Alors je me tais. Mais dans ces moments où ma vie m'échappe, où je cours tous les jours après mes rêves, je... j'aime songer à une autre existence, plus tumultueuse, plus désordonnée, plus bruyante, plus cohérente, plus exaltante, plus.  

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Cher journal,

Je suis là, allongée par terre dans cette herbe trempée, la pluie ruisselle sur mes vêtements, sur mon visage, et mon âme. Mes vêtements sont sûrement tâchés par la pelouse fraîchement tondue, et il est fort probable que j'attrape un rhume. Mais tout ça n'a pas d'importance, car je suis ici. Et à cet instant précis, j'oublie tout. Mes bras étendus de chaque côté de mon corps me font sûrement ressembler à une sorte de crucifix, plutôt ironique pour un vampire. À cet instant précis, il n'y a que moi, le sol et le ciel. Je ferme les yeux. C'est vraiment chouette. Je me sens... libre. Je sais, c'est idiot, après tout je ne suis qu'allongée dans une pelouse trempée où doivent résider de nombreux asticots, et à ma connaissance, je ne crois pas qu'asticot soit synonyme de liberté, mais peu importe, c'est ce que je ressens actuellement, la sensation d'être libre. Aussi libre que peut l'être un oiseau volant au gré du vents, et qu'un prisonnier libéré. Je suis complètement, totalement, follement, choisissez le terme qui vous convient, ça n'a pas d'importance, libre. Et Dieu sait ce que cette sensation est euphorique, magnifique, magique. "Grace ? Sérieux, qu'est-ce que tu fabriques ? C'est pas le jour à t'allonger par terre." Je ris. Je ne suis pas sûre qu'il existe un jour spécifique où il est autorisé et même conseillé de s'allonger par terre. Je hausse les épaules, contemple une dernière fois le ciel orageux, et me relève pour me diriger vers ma protectrice. Nadeshda Kozlov. Mais je préfère largement Nana. Tout d'abord parce que c'est bien plus simple, et puis finalement c'est devenu une habitude. Je me sens plutôt honorée, je suis la seule personne à pouvoir l’appeler ainsi. Les autres c'est couic me dirait-elle, son doigt placé près de sa gorge, tentant d'imiter une lame de couteau, ou ce genre de truc qui coupe je suppose. Je l'aime beaucoup. Vraiment. C'est une de mes seules véritables amies, les autres sont tous des hypocrites, sournois, avides de pouvoir, et qui veulent se rapprocher de moi pour une unique et seule raison : la protection de la reine à l'égard de ma famille. Ces gens-là, qu'ils aillent au diable, pas que je suis particulièrement croyante, mais j'ai été élevée dans un environnement où les "vulgarités" sont très mal vues, on m'a donc appris à les bannir de mon vocabulaire. Et ça m'est resté. Pourtant, y a des moments où je te promets, j'aimerais dire quelque chose moins... plus familier. Mais ça ne sort pas. Comme si une barrière invisible près de ma bouche empêchait tous ces mots de sortir, comme si on avait toujours voulu m'empêcher de m'exprimer. Je n'ai que la liberté de penser. Nana et moi c'est... je dirais qu'avec nous, ce proverbe où il est dit que les opposés s'attirent est totalement vrai. Nous ne sommes pas différentes sur tous les points, heureusement, mais disons qu'on a chacune des choses différentes, qui font ce qu'on est aujourd'hui. Elle est le jour, je suis la nuit. Le soleil, la pluie. La pragmatique, la romantique. L'impulsive, la sensible. La noctambule, celle dans sa bulle. Et puis... merde. Je l'aime. Comme ma gardienne, ma sœur, ma meilleure amie. C'est Nana quoi, voilà.

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Cher journal,

J'ai du mal à garder mon calme. J'ai beau cesser de me répéter que je ne dois pas m'énerver, c'est plus fort que moi, quand j'ai vu ce vase, j'ai eu l'irrépressible envie de l'envoyer valser à l'autre bout de la pièce. Je soupire et tiens mon crâne entre mes mains. Je suis furieuse. Furieuse contre cette déplorable organisation qu'est la répartition des gardiens de chaque Moroï. Nadeshda Kozlov devait être ma gardienne. Alors pour quelle raison absurde vient-on de m'annoncer que je ne possédais aucun gardien ? Ce n'est pas le fait de ne plus être protégée personnellement qui me chamboule, loin de là, je sais qu'à l'académie, je suis en sécurité. Mais Nana est ma gardienne, je veux dire, elle l'a toujours été et je veux qu'elle le soit jusqu'à... jusqu'à la fin probablement. Et aujourd'hui elle "appartient" à Luke. Je ne peux pas me fâcher contre lui, je veux dire, je sais bien qu'il n'y est pour rien, il avait déjà répété à plusieurs reprises qu'il préférait mourir, l'expression évidemment, plutôt que d'être suivi par un "toutou" de Dhampir. Mais sa famille a beaucoup souffert après la mort de l'aîné lors du massacre, alors je suppose qu'elle emploie tous les moyens possibles pour protéger leur unique et dernier enfant. Luke ne vient pas d'une dynastie royale, mais comme de nombreuses familles Moroï non royale, ils possède une jolie fortune. J'aime beaucoup Luke, Lukas en réalité, il est drôle, toujours le sourire aux lèvres, toujours l'air heureux et bienveillant, malgré toutes ses "saloperies", j'ai entendu un Dhampir employé ce terme tantôt, que la vie peut lui infliger. Je crois qu'il s'intéresse à Nana. Derrière leurs chamailleries habituelles, c'est certain qu'ils s'apprécient. Je vais essayer de faire en sorte qu'il lui fasse part de ses sentiments, autant être franc pas vrai ? Le souci reste clairement qu'il est Moroï, et elle Dhampir, sa Dhampir pour empirer les choses, et ce genre d'union n'est disons pas... pas super bien vu. Quand j'y pense, je me demande si je vais un jour apprendre ce qu'est cette chose appelé l'amour. Honnêtement ? Je m'imagine plus facilement faire ma vie en solitaire, ou marié à un homme pour lequel je n'ai aucun sentiment, mais avec lequel ma famille gagnera sûrement une nouvelle notoriété. Et encore, ma famille n'approuve pas ce genre de pratique, les mariages forcés. Mouais. Il est donc fort probable que je finisse seule, réputée pour mon titre de Voda, et mon élevage célèbre de chats.